Financement des associations : La crédibilité passe par la transparence

 

Le décret-loi n° 2011-88 du 24 septembre 2011 portant organisation des associations a certes consacré la liberté de constituer des associations, mais qu’en est-il de leur devoir de respect envers les principes généraux de ce décret, comme le respect de l’Etat de droit et de la transparence?

Il va sans dire que le droit à la liberté d’association constitue une garantie fondamentale pour la consolidation de l’État de droit et de la démocratie et la promotion des droits humains. Néanmoins, il est plus que nécessaire de distinguer les organisations non gouvernementales qui respectent leurs engagements de celles qui agissent de manière opaque et sont soit infiltrées ou politisées par des forces internes et externes agissant en arrière-plan et en toute impunité. Aujourd’hui, il est de plus en plus question d’apporter un amendement au décret-loi 2011-88 en vue de contrôler de plus près le financement des associations sans, bien évidemment, piétiner les droits à la liberté d’expression et d’association.

L’omerta avait régné sur le financement des associations

Les grandes sommes d’argent dont bénéficient certaines ONG ont toujours soulevé des questionnements autour de la mission et du rôle des associations dites à but non lucratif qui ont essaimé après 2011. A la date du 23 octobre 2024, le pays compte 25104 associations, selon le centre d’information, de formation, d’études et de documentation sur les associations. Rien qu’au gouvernorat de Tunis, on compte 5116 associations, A Sfax 1886, à Nabeul 1477, à l’Ariana 1319, à Sousse 1269. Leur nombre ne dépassait pas les 8000 avant cette date.

Cette explosion s’explique par l’amendement du décret-loi 2011-88 qui a abrogé la loi de 1959 et a supprimé d’autres lois et mesures restrictives adoptées sous le régime de Ben Ali. L’objectif était de garantir la liberté de constituer des associations, d’y adhérer, d’y exercer des activités et de renforcer le rôle des organisations de la société civile ainsi que leur développement et le respect de leur indépendance. Ce décret a autorisé les ONG, notamment dans son article 35, à recevoir des fonds étrangers sans autorisation préalable. Des restrictions totales, on est passé à la liberté de financement sans conditions. Un amendement sur mesure en quelque sorte qui a profité aux ONG inféodées aux partis politiques déjà au pouvoir et aux milieux salafistes, ce qui a permis de dévoiler au grand jour les tentatives d’ingérence de pays étrangers avec en toile de fond l’instrumentalisation politique de la majorité des associations existantes.

Aucun mécanisme de contrôle n’a été mis en place suite à la promulgation de ce décret-loi au moment où le monde occidental applaudissait un «printemps arabe» qui allait se muer très vite en cauchemar avec le classement de la Tunisie en tête des pays exportateurs de «djihadistes» à l’échelle mondiale. En 2015, ils étaient 4000 en Syrie, entre 1000 et 1500 en Libye, 200 en Irak, 60 au Mali et 50 au Yémen, selon la porte-parole du groupe de travail des Nations unies spécialisé dans les activités des mercenaires.

Pire, l’omerta avait régné sur le financement des réseaux d’envoi de jeunes dans les zones de conflit. Les responsables des associations dites caritatives se frottaient les mains. Etrangement, le monde occidental applaudissait toujours ce décret-loi, le qualifiant d’«un des cadres juridiques les plus progressistes relatifs au droit à la liberté d’association au Moyen-Orient et en Afrique du Nord».

Entre-temps, la Tunisie a été confrontée à une période marquée par la recrudescence des actes terroristes perpétrés à l’encontre de nos forces armées et de nos institutions hôtelières. Sur le plan économique, le pays était au pied du mur. L’ARP se souciait d’une démocratie de façade et les séances au Parlement tournaient la plupart du temps au pugilat. Avant le 25 juillet 2021, on avait droit à des scènes sordides jamais vécues auparavant, dont les héros sont des députés qui n’ont pas hésité à clochardiser cette prestigieuse institution du peuple sous le regard complice de son ancien président. Le décor était digne de scènes kafkaïennes où régnait une atmosphère absurde indigne de la Tunisie après les soulèvements populaires vécus en 2011. Au fait, certaines associations avaient servi de cheval de Troie. Elles étaient à la solde de groupes salafistes alors que d’autres étaient instrumentalisées par des Etats et des lobbys à des fins partisanes.

L’étau se resserre autour du financement des associations

Ce n’est qu’à partir de 2018 que les associations ont été soumises à une exigence supplémentaire pour pouvoir fonctionner de manière légale, à savoir l’inscription au registre national des entreprises selon la loi 2018-52 (article 7). A la réception de la demande d’enregistrement, le registre pouvait émettre une décision de refus. En février 2022, le locataire de Carthage avait souligné la nécessité de promulguer un texte interdisant le financement étranger des associations qui constituent des extensions de partis et des antennes de puissance étrangère dans notre pays. «Nous refusons toute ingérence dans nos choix ni par les fonds ni par les pressions. Les Tunisiens sont un peuple souverain et digne», a martelé le président de la République.

L’inquiétude est née de l’exercice d’influence et de manipulation qui a caractérisé les activités de plusieurs associations servant de caisse de résonance pour les forces occultes étrangères. Le Chef de l’Etat avait même souligné à cette occasion que la justice est appelée à appliquer au plus vite le rapport de la Cour des comptes sur le financement des campagnes électorales de 2019. D’autant que la justice détenait tous les chiffres relatifs aux fonds provenant de l’étranger. En parallèle, Kaïs Saïed a également insisté sur le respect des libertés. «Nous refusons toute atteinte aux droits et libertés qui sont garantis par la Constitution ainsi que par les textes internationaux et régionaux».

Ces deux dernières années, l’étau s’est resserré davantage autour des associations en matière de financement faut-il le préciser. Ainsi, en novembre de l’année dernière, 272 associations suspectes ont fait l’objet de mesures décrétées à leur encontre. Des ordres de suspension ont été émis à l’encontre de 182 d’entre elles. Des mesures survenues à la suite des rapports rendus par le Groupe d’action financière et de l’organisation Transparency international. Le nombre grandissant d’associations suspendues est expliqué par les flux importants de financements étrangers tout au long de la décennie écoulée qui ont profité de l’absence d’un texte juridique fixant un plafond aux dons envoyés depuis l’étranger.

La Ctaf appelée à assumer pleinement son rôle

En dépit de ces mesures et de ce tour de vis, il semble que certaines associations continuent à recevoir de grosses sommes d’argent en guise de financement d’activités difficilement contrôlables. A cet effet, le président de la République a reçu le 17 septembre dernier le gouverneur de la Banque centrale de Tunisie, Fethi Zouhair Nouri, qui lui a remis le rapport annuel de la Commission tunisienne des analyses financières (Ctaf). Kaïs Saïed a souligné l’importance du rôle de cette Commission face aux montants considérables reçus de l’étranger par plusieurs associations, d’autant qu’ils sont redistribués à des fins politiques ! Comment expliquer le fait qu’une association reçoive 9.579.908,300 dinars et qu’une autre en reçoive 255.512,250 dinars jusqu’au 28 août 2024, à titre d’exemple, selon le communiqué de la présidence de la République. Inadmissible. C’est d’ailleurs pour cette raison que le Chef de l’Etat a présenté au gouverneur de la Banque centrale de Tunisie une liste des financements étrangers reçus par ces associations. Ces financements étrangers devaient être signalés à la Commission tunisienne des analyses financières (Ctaf) pour vérifier leur provenance et les soumettre à la justice.

A l’occasion d’un entretien avec la ministre de la Justice, Leila Jeffal,  Kaïs Saïed avait aussi  révélé qu’une association avait obtenu des financements étrangers d’une valeur de 7,615 millions de dinars de 2016 à 2023 au nom de la société civile. Si le financement des associations a connu d’étouffantes restrictions avant 2011, il est entré après le soulèvement populaire dans une phase marquée par la suppression des mesures de contrôle susceptibles d’incriminer les éventuels dépassements.

A la recherche du juste milieu, l’Etat semble décidé à aller de l’avant et à apporter des amendements au décret 88 qui obligeraient, en particulier les associations à recevoir l’approbation de la Commission tunisienne des analyses financières avant de recevoir un financement étranger, sous peine de dissolution.

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